Avec le malaise ambiant et l’incertitude montante qui plane, on cherche à se changer les idées. Je tombe sur un livre de photographies de Léonard Misonne, un artiste belge, largement oublié, figure emblématique du pictorialisme, un courant artistique qui visait début du XXème siècle, par ses images de nature et de vie campagnarde, largement romancées, à évoquer la douceur, le bonheur de vivre et la beauté des choses.
En fidèle défenseur de cet art de voir et de montrer, Misonne donnait à la vie, près des vaches, sous les arbres, un sens quasi religieux. Ses photographies, qui encensent la vie au grand air, renforcent leur pouvoir d’attirance, par un léger effet flouté, le grain du tirage semble si épais que les visions d’un chemin enneigé, ponctué de lumières frémissantes, sont renversantes de poésie. La vie simple trouve ici tout son sens, un calme profond. Simple vision, toutefois !  Une manière de porter son regard, focalisé, convergent, à un endroit précis plutôt qu’à un autre. On ne peut pas renier le pouvoir de la nature, celle que l’homme a façonnée. Ces derniers jours, avec la suspension de la vie publique, comme on le dit parfois, la nature a repris ses droits, les oiseaux n’ont jamais été aussi nombreux et présents, dans les jardins, au sommet des haies resplendissantes, entre les genêts jaunis de fleurs et les orangers du Mexique. Habillée de ce nouveau silence,  à quelques pas de chez nous, la forêt offre des perspectives insoupçonnées. Comme s’il respirait, on peut y entendre le bois craquer. En même temps, à l’égal de Misonne, oubliant largement, à son époque, de porter son regard photographique vers l’exploitation minière ou vers la guerre, on pourrait se complaire de cette suspension : la nature enfin trouve un second souffle. 
D’aucuns diront, ça y est, on les retrouve enfin, ces fameux temps ancestraux, temps d’avant, nostalgie brûlante où tout ce qui fait la vie moderne aurait disparu : un retour à la nature, célébrée par Jean-Jacques Rousseau, quand il filait le coton de sa mélancolie. Mais gare à nous, le sens d’une certaine beauté s’effrite sans un certain sens politique !
Le muguet, avec ses clochettes, s’apprête à pousser mais il est sûre qu’au 1er mai, en cœur et sans joie, on ne fêtera pas le travail. On prendra sûrement conscience, une nouvelle fois, des inégalités de traitement, dans ce contexte de pandémie. 
Ainsi, tous logés à la même enseigne. Enfermés, depuis des jours, regard unifié qui ne passe pas, me semble-t-il, trop peu de considérations de la part des pouvoirs publics pour le sort réservé à certains. J’en ai un très bel exemple.
Dans le sud de Paris, bordée par le périphérique, se dresse la cité universitaire. Des bâtiments de choix, construits en leur temps par de très grands architectes, dans des formes censées représenter les spécificités de chaque pays du monde, ayant ouvert leur espace de logements pour leurs propres étudiants  : par exemple, des briques rouge sablées et des bordures crénelées pour les pays du Nord et des colonnes doriques, à l’entrée du bâtiment de la Grèce. Le Corbusier, aux idées controversées, hommes farfelu et surtout ayant fricoté avec le pouvoir à Vichy, antisémite à ses heures, a conduit sur cette cité universitaire un chantier d’importance : l’élévation d’un bâtiment pour la Suisse, et globalement, par sa taille, une des vraies réussites architecturales du Corbusier. Avec son parc tout juste réaménagé, chemins bordés d’arbres, cette cité est un havre de paix : les futurs intellectuels du monde, étudiant en soutenance, y dorment et y batifolent.
Toutefois, dès le début du confinement, les mesures déployées à la cité universitaire, furent des plus radicales et des plus drastiques. Dans la mesure où des cas de Covid y furent recensés, les étudiants, comme des rats, y ont été enfermés dans leurs 11 m². Ainsi, enfermés comme des rats, on avait dû supposer qu’étant jeunes, aisément, ils supporteraient ce régime : l’obligation de rester dans sa petite piaule blafarde et un usage des cuisines communes régulées comme jamais : interdiction totale de s’y retrouver, à plusieurs, en même temps. Une nouvelle aberration, en ce lieu, puisque les jeunes, selon les informations à peu-près valides qu’on possède, sont très peu à risque de formes dangereuses. Et le beau parc, évidemment, a été condamné : condamné pour les étudiants et condamné surtout pour les joggers, nouvelles figures soudainement insupportables de l’espace public. 
L’homme qui m’explique tout cela, chargé de recherche, était en contact, depuis le début du confinement, avec son étudiante, cloîtrée sur place. Et puis, brusquement, plus de nouvelles de sa part. Un jour, deux jours, trois jours passent. Aucune nouvelle. Pris par l’inquiétude, il alerte le service de garde du site. Un agent est alors dépêché. Il s’en va rendre visite à la jeune femme. Au fond de son lit, il la retrouve, alcoolisée, shootée aux médicaments. Par conséquent, à deux doigts de la catastrophe. Pas besoin de vous faire un dessin, quel qu’il soit, ou de donner d’explications plus étoffées : elle n’en pouvait plus.
Des mesures de confinement, égales pour tous, sans discernement et voilà donc ce qui peut se passer, outrageusement. On ne peut pas sérieusement détourner le regard sur tout ça, même si la nature, taillée par l’homme, modelée selon ses choix, sous quelques fenêtres, explose de couleurs et de lumière, en ces temps obscurs où certains n’ont pas été enfermés mais incarcérés. La vie à la cité universitaire est pire qu’en prison, comme le confinement s’avère terrible en Afrique ou en Inde, où beaucoup gagnent leur vie au jour le jour, ne bénéficiant nullement de prestations sociales de compensation. L’épidémie est sans pitié car elle révèle nos défaillances et surtout nos incohérences. La nature, elle, tant qu’on la regarde de loin, en a évidemment que faire … !    



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