Peut-être
que tout cela est déjà derrière nous ou d’un autre temps ? Pour l’intérêt
commun, tout fut possible, dans des proportions et des largesses, sans commune
mesure. L’hygiénisme, théorie du passé, retrouva pour un temps ses lettres de
noblesse et l’idée d’assainir et de rendre l’habitat plus salubre par des théories urbanistiques avait changé, au
profit du développement de mesures individuelles de protection et de
précaution. Le déconfinement ne fut peut-être qu’une étape de plus dans
l’application de mesures, jugées autrefois utiles quand on ne savait pas guérir,
devenues obsolètes, puis remises au goût du jour, de façon assez trouble, si ce
n’était pour exposer transitoirement que c’était la force de travail qui comptait,
avant tout, dans notre société qui se réveillait de sa léthargie confinée.
Priorité des priorités, l’Etat devait faire repartir l’économie, sur des dynamiques
collectives, au détriment de certaines libertés, en renforçant le poids de la
coercition et presque de la répression. Il fallait, ce jour-là, quand même se pincer
pour se dire qu’on était bien au XXIe siècle, dans une société d’informations
par excellence, pour se rendre compte que l’information était bel et bien vidée
de tout sens et qu’il fallut des panneaux signalétiques, de partout, dans
toutes les gares, pour nous le rappeler.
Ce que je vais décrire là date déjà de quinze jours et ça relève peut-être déjà d’un autre temps. Un passage par le RER suffit pour nous convaincre de la primauté des actions par excès et, une nouvelle fois, que dans l’esprit, on ne pouvait pas faire confiance aux citoyens. En quelques jours, toutes les gares ainsi que tous les trains et métros furent équipés de traçage au sol et d’autocollants, censés orchestrer les déplacements et les stationnements, comme si personne n’avait entendu les messages de prévention. Je ne crois pas qu’il existe d’écoles, à ce jour, dans le monde, avec autant de consignes imagées pour les enfants. Tout cela est pensé, en dépit du bon sens et comme il n’est jamais trop mal d’en faire trop, vous aviez, par gare, trois ou quatre agents, au demeurant sympathiques, présents pour observer, et ajuster au besoin ce que vous n’aviez pas encore saisi : l’emprise sur les corps et l’emprise sur les esprits. Mais, comme souvent, tout ce qui est pensé dans la précipitation, n’obère rien de bon. La nature n’attend jamais pour se manifester au milieu des hommes, surtout quand ils ont pris pour habitude de la maltraiter. Pas besoin de se refaire le refrain écologique, on le connaît très bien. Onze mai 2020, déconfinement mais journée de ciel gris et de vent rageur, les arbres tanguaient, certains résistaient, comme les hommes à leurs mauvaises conditions de vie, il y a toujours les plus fragiles qui lâchent, racines de surface, comme ceux qui ont les poumons fatigués, et voilà qu’un d’eux, sur le bord de la voie, craqua. L’arbre s’affaissa et tel le boxeur s’écrasa dans les cordes des caténaires.
Tout
s’arrêta d’un coup, et par voie de conséquences, les quelques voyageurs que
nous étions, bien masqués se retrouvèrent chasser de la rame : « descendez il y
a un bus ! » Le bus 14, aux horaires incertains, ferait bien l’affaire pour la
cinquantaine de désabusés, qui affrontaient, ce matin-là, un vent glacial de
mai : nul besoin de statistiques pour faire un état des lieux, une projection à
court terme dans le bus, ça allait être collé serré, au vu de la cinquantaine
de personnes, sur le trottoir. L’option de marcher, en bonne
compagnie avec une jeune femme à l’esprit aiguisé, nous emporta dans le dédale
des incohérences urbanistiques : rejoindre Massy en partant Palaiseau, par les
petites rues que le GPS nous indiqua, fut une gageure : pour trouver le tunnel
qui permettait de passer sous l’autoroute fut en soi une expédition: les
villes, un temps, furent considérées comme des propagateurs de miasmes, à cause
de la promiscuité, de l’absence d’eau courante et d’industries dangereuses pour
la santé : ici, dans ce monde où l’on avait repoussé les habitants de Paris
pour les principes énoncés précédemment, on a oublié que l’homme était bipède,
à moins d’être en mode très motivé. Un vrai casse-tête, même avec un
smartphone, objet de bien des malice. Une chose est sûre : le bus 14 qui nous
passa sous les yeux était devenu tout d’un coup un cluster qui s’ignorait. Le mètre
de distanciation s’était transformé en centimètres. Des centaines de milliers
d’euros pour signaliser, espacer et discipliner, et un foutu arbre fragile pour
tout foutre en l’air : les grandes pensée collectives sont toujours
extraordinaires, à l’échelle des pauvres humains que nous sommes. La théorie, donc,
à l’épreuve de la nature et, en un voyage, toute une vision sur ce déferlement
de précautions, emportées par ce satané vent. Un passage par les transports en commun
filait donc très vite le tournis, et quand j’ai appris que de justesse, une
mesure pour les transports en commun venait d’être enterrée, je me demandait
sur l’instant : « qui pense pour qui ? ». Dans certains
trains, n’ayant pas de toilettes, il fut question d’installer une bombe de gel
hydroalcoolique : « oui mais ça serait pas inflammable, ce truc » réagit celui
me rapporta cette anecdote. Il avait assisté à quelques réunions préparatoires
pour le bon déroulé du déconfinement dans les transports. « C’est un peu
dangereux non ! Le risque incendie ne sera plus couvert. » Par conséquent,
tout fut abandonné.
Pour
autant, le système répressif, ce jour-là, s’était quant à lui bien mis en
place, dans toutes les gares. Comme par hasard, il s’appliqua à ceux qui exercent
des emplois manuel de service, frange de la population, fortement représentée
dans les minorités visibles et particulièrement impactées par l’épidémie,
habitant dans les quartiers nord de Paris. Un tour de RER et ce fut facile à
mesurer. Au temps de l’incitation, sans contrainte forcée, un virus passait par
là et toute une autre mécanique reprenait le dessus. Pour le bien et selon des
logiques solidaires, on laissa échapper cette idée que certains étaient rétif
aux messages de prévention ou à quelques règles, et enfin qu’ils avaient sûrement
moins de libre arbitre que les autres. Alors, pour eux, on utilisa la méthode forte
et répressive. La liberté de certains pourrait nuire aux biens communs des
autres et le contrôle des attestations, jugées secondaires car capables de
créer des attroupements injustifiés et dangereux, selon les logiques en
vigueur, fut en outre menée, tambour battant, dans une gare du 93, dès le
deuxième jour du déconfinement par un régulateur aux idées bien arrêtées. Comme par hasard, population
des quartiers populaires, les immigrés, cible des contrôles avec bien sûr, de
leur part, une soudaine crispation : comme c’est bizarre…. ! on croyait
rêver. L’homme qui m’expliqua tout cela, n’y croyait pas non plus quand il
apprit cette débâcle de coercition. On voit très bien combien les logiques de
départ, des plus méritoires sur le principe protéger–soi-disant, furent
détournés et servirent, en quelques jours, à d’autres profits.
Ainsi, ce
qui fut censé organiser une reprise des transports, sous des auspices plus qu'excessives, trouvait très vite de pâles
détournements. Le contrôle sanitaire devint l’enjeu d’une action de rétorsion,
gratuite et zêlée. On mesure encore une fois les limites des bonnes intentions.
Passage ensuite par Paris, et je ramenais, dans ma tête, quelques images, prises
à la sauvette comme Cartier-Bresson : d’abord, un nombre de personnes masqués,
invraisemblable, sur les trottoirs. Une sonnerie dans la rue rappelait des élèves
disparus, un lycée vidé de ces bruits de cours : aucun éclat de voix. La fermeture des cafés et
restaurants, comme tous lieux de divertissement, donnait l’image d’une ville,
tournée avant tout vers le travail. Les boutiques de vêtements faisaient grise
mine et les files d’attente que je croisais, ce jour-là, laissait exhumer un
petit filet d’amertume quant au changement possible. Devant chez Orange, temple
de la téléphonie et à l’entrée d’un magasin Hermès, les gens attendaient leur
tour, comme une sorte de soubresauts, de trémulations, venus de très loin ;
la consommation oblige. Je ne savais pas quoi en penser ! On allait quand
même pas s’indigner pour tout et tomber dans les excès de radicalisme, en ce
jour de pieuse libération !
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