5 avril 2020
Sous nos
fenêtres, un moment de grande dérision : à chaque piéton qui passe, soit
en marchant, retour des courses, besoins premiers obligent, soit en courant, le
footing dans un sas d’un kilomètre s’est développé, en quelques jours, à une
vitesse impressionnante, engouement des stressés de l’enfermement. À deux, on
fait une observation de leur coupe de cheveux En secret, on fait nos petits
commentaires délicieux sur les têtes, en mal de coiffeur : c’est pas chouette du
tout. Les larges touffes s’étoffent, on voit des passants, casqués de cheveux
comme je l’étais enfant. Ceux qui nous donnent plus de plaisir à nous moquer (tendrement,
histoire de se changer les idées) c’est ceux qui, dégarnis largement sur le
devant du crâne, se retrouvent avec un flottement de chevelure arrière,
crinière en soi, d’un autre temps : ça fait du bien de se lâcher, surtout quand
on sait le travail que vont avoir les coiffeurs, à la pseudo libération, avec
les clients sur le trottoir, les uns derrières les autres, à une distance
précise de sécurité… !
Une petite
soirée de discussions, et comme si ça couvait depuis quelques temps, ma colère
est sortie, avec ce charivari de drame, en train de s’avancer, sur le devant de
la scène : on voit bien que le confinement, au stade même de la mauvaise organisation, en terme politique et
sanitaire, avec les besoins criants, le défaut de protection pour les
soignants, la contagiosité du virus et ses conséquences chez certains, était sûrement la seule solution. Mais comment ne pas s’offusquer que
de telles mesures, mettant gravement en péril de nombreuses situations
économiques, sociales et sanitaires, sortent d’un système qui n’était pas du tout à bout
de souffle, mais vorace, impitoyable et sans pitié dans de nombreux domaines ?
C’est comme si, d’un coup, lui était offert la plus grande des visibilités,
dans ses incohérences, au jour le jour. Quand on voit le sort qui a été réservé
à l’hôpital, ces dernières années, ce qui se passe met en valeur les
défaillances, mais oublie, au passage, que c’est lui, ce système défaillant, de
contrôle, de technocratie, porté par nos gouvernants, qui pourrait être à
l’origine de cette catastrophe sanitaire, juste pour les profits de certains ou
pour les économies des autres. Je ne décolère pas de ce que j’ai vu, il y a dix
ans, à l’hôpital où le pouvoir administratif s’écriait, après avoir viré notre
médecin chef, dans des conditions sordides, que l’hôpital était une entreprise.
Oui l’hôpital, une entreprise. On voit donc où, concernant l’offre de soins et
les politiques de santé, on en est désormais rendu. Je ne l’ai pas oublié. Et
ce que j’avais vu de mes propres yeux, à petite échelle, n’a fait que s’étendre,
se diffuser, ce n’est pas pour rien que l’hôpital psychiatrique est aujourd’hui
à un point de marasme sans précédent, sauf peut-être pendant les périodes de
guerre, avec l’hémorragie des psychiatres, formés et diplômés en France,
l’ayant quitté, sur la dernière décennie. Les malades mentaux ne sont pas
livrés à eux-mêmes, dans certains hôpitaux, mais on se demande bien à qui ils
sont confiés, quand on connaît la situation, sur toute la France.
À l’EHPAD,
malgré les efforts, le travail acharné de M. et de ses collègues, les signes de
défaillance transparaissent, sur tous les sols, la poudre répandue et
l’embrasement de l’ensemble, dans pas longtemps, va survenir : les personnes sont
pour lors bien soignées, grâce à nombreuses anticipations (que même l’hôpital
n’avait pas envisagées), elles sont sous contrôle, mais la fièvre de partout,
comme les premières braises, premières menaces, a fait son apparition sur pas
mal de fronts. Le langage est guerrier, militaire, pas du tout approprié car ce
n’est pas le cas, contrairement à ce que le président de la République a pu
énoncé, rhétorique surfaite, mais le dévouement est tel, l’investissement si
présent, si intense, qu’on se croirait revenu à des temps lointains où sous une
large tente verte, avec des calots blancs et des croix rouges, cousues devant,
les infirmières soignaient les blessés du front. Tout semble inéluctable,
malgré les consignes ou les mesures prises. On est légèrement en désaccord avec
M. sur son exigence, le besoin de tout orchestrer à merveille, a-t-elle raison ou
tort, connaissant pour lors la finalité ? Une chose est sûre, en dépit de la
fatigue, il est possible de voir dans ses yeux briller les éclats de la
missionnaire, engagée dans une cause, sa cause–non pas pour sauver mais pour soigner
et, surtout, pour accompagner dignement. Les efforts ont été
concentrés sur les urgences et les réanimations mais à ce jour, peu d’échos,
peu d’initiatives, sauf locales, pour que les personnes âgées, les plus
touchées par cette épidémie, meurent dans la dignité. La vie des jeunes vaut
bien plus que la mort des vieux – telle est l’équation, à ce jour.
Et dans
tout ça, pour l’instant, aucune mesure de vrais changements. Un certain système
s’est emballé, et comme me le disait un homme, il est « résilient ».
Je lui disait plutôt résistant. On était tous deux convaincus que si la résilience,
théorie pour le moins contestable, impliquait comme ces spécialistes
l’indiquent un retour à l’état antérieur, quel sens cela peut-il vraiment
avoir pour un système ou une organisation sociale ? Déjà, pour l’homme, la
résilience indique un possible retour à un état précédent ; de base, ça n’a pas
de sens. On sait qu’il n’y a jamais de retour à un état antérieur pour
l’homme : on ne sera jamais celui qu’on a été, encore plus après des
crises. Et pour un système d’organisation sociale, quel que soit le niveau, son
maintien ou son retour en arrière, malgré la crise, a quelque chose de très
inquiétant.
Par
exemple, en raison du confinement, les professeurs ont trouvé de nouvelles
stratégies pour enseigner, l’élève doit ainsi acquérir, devant son écran et sa possible
gestion personnelle des cours, de nouvelles compétences ; ce qui en soi
aurait une certaine valeur, comme le développement de plus d’autonomie et moins
de passivité, comme celle que les élèves sont amenés à développer, devant des
cours magistraux. Mais pour beaucoup, ceux qui ont la chance d’avoir du
matériel adéquat ( ceux qui ont les moyens), ils n’ont même pas eu le temps de
le faire que déjà certains professeurs (des « bons établissements ») les
bombardent de cours, de notes et de vidéos. Aussi, la résilience semble vouloir
dire que le système scolaire, malgré l’épidémie, malgré le confinement, qui a
survécu à tout ça, doit maintenir ses exigences. N’offre-t-il pas, dans ce cas
de figure, quelque chose de potentiellement bien pire ? L’enfer, qui était sur les bancs de l’école,
pour les plus fragiles, semble s’être de nouveau engouffré, avec ses flammes, ses
horreurs, au cœur de la maison : les parents s’épuisent pour les plus
engagés, les plus motivés, à suivre le rythme, ils s’énervent de plus en plus
vite sur leurs enfants, pendant le confinement. Il est sûr que les dérouillés,
comme à leurs plus belles heures, ont dû retrouvé leur place dans les principes
éducatifs, alors qu’elles avaient largement été abandonnés. Et déjà on
s’inquiète des violences intrafamiliales. Personne ne sait dit, un instant (vraiment,
je n’y crois pas !) que l’école à domicile, dans ces conditions, ne
pourrait susciter que de voluptueuses crises de bois vert.
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